À TÂTONS – réflexions d’une haïjin confinée [LA LECTURE]
L’épidémie de covid-19 ? Tout le monde en parle et l’a subie – la subit – de plein fouet. Moi la première.
Si le confinement N°1 – j’ai décidé de les numéroter, peut-être pour conjurer le sort, allez savoir ! – a eu, selon les individus, des effets salvateurs ou désastreux, nous sommes tous d’accord pour tâcher de tirer le meilleur du confinement N°2, quel qu’en soit le moyen…
L’écriture, c’est ma respiration. L’écriture de haïkus, ma façon d’appréhender la vie. Or, le haïku naissant de l’expérience, un(e) haïjin a besoin de ressentir - au niveau sensoriel, de faire vivre ses cinq sens – pour écrire… Comment puiser dans nos expériences de vie la matière première d’un haïku en période de confinement ? C’est ce que je vais tenter d’explorer avec vous durant ce confinement N°2…
Je vous livrerai donc, vaguement organisés, mes pensées, tests et observations à ce sujet, agrémentés, bien évidemment, de quelques haïkus…
J’avais initialement projeté de vous parler en premier lieu de la présence de la nature dans le haïku. L’article était déjà rédigé, prêt à être relu et posté. Puis, après une conversation avec une amie autrice sidérée d’avoir rencontré une romancière fière d’écrire (et être publiée à compte d’éditeur) SANS JAMAIS LIRE, je me suis pliée à la nécessité vitale d’évoquer en première place la lecture.
⓪ LA LECTURE
Lire avant d’écrire, lire pour se nourrir, s’inspirer, construire et affiner son écriture me semble tellement évident, que je suis passée à un cheveu d’omettre cette étape, pourtant impérative. La lecture, c’est presque déjà une forme d’écriture – mentale, car, même sans rédiger de chronique littéraire ou d’avis de lecteur, l’esprit interprète le texte, se forge une opinion à son sujet, adhère ou s’oppose aux idées exposées, apprécie ou non les thèmes abordés…et ce, toujours avec une raison – quelle qu’en soit le bien-fondé, là n’est pas la question.
Il me paraît hérétique d’exiger/d’accepter d’une autrice ou d’un auteur une écriture malnutrie. C’est comme demander à une jeune maman d’allaiter son enfant sans s’alimenter elle-même ou encore tenter de parcourir une distance en voiture sans fournir de carburant au moteur…
Dans le cas du haïku et surtout chez nous, en Occident, loin du berceau de cette forme si particulière, il est fondamental, en plus des ouvrages didactiques, d’étudier tout d’abord les haïkus de maîtres japonais dont voici quelques textes :
Sous les arbres
soupes et pickles
recouverts de pétales
(Mastuo BASHŌ)
***
Clair de lune.
Un criquet sur la pierre
commence à chanter
(Fukuda CHIYO-NI)
***
La rivière d’été
Passée à gué, quel bonheur
Savates à la main
Douleur. Dans la chambre à coucher
J’ai marché sur le peigne de ma femme
Morte
Toux cacochyme
De l’Abbé
Cri du coucou
(Yosa BUSON)
***
Porte de bois
En guise de cadenas
Cet escargot
(Kobayashi ISSA)
***
Gerbe de gingembre feuillu
Mise à tremper
Rivière sauvage
(Masaoka SHIKI)
***
silencieux
un poisson-globe
au ventre plein
(Natsume SÔSEKI)
Il est ensuite indispensable d’explorer le haïku moderne avec ses figures de proue :
Une raie traverse
le monde silencieux
d’un bassin
(Maya OKUSAKA)
***
Une libellule
un petit peu plus lourde
que le vent
(Yūko MASAKI)
***
Rien
dans la toile d’araignée
Plein midi
(Yumiko KATAYAMA)
***
Les fleurs artificielles
plongées dans l’eau –
Mortes-vivantes.
(Michiko KAÏ)
***
Clair de lune –
Deux silhouettes enlèvent
leurs montres
Cerisiers cerisiers…
ah si je pouvais recueillir
sa pomme d’Adam
Ils parlent de la guerre
en riant –
marmite de loches[i]
Auberge sous la lune –
sur le menu du soir
un haïku du patron
(Madoka MAYUZUMI)
***
Un vendeur de grillons,
silencieux, laisse
chanter les grillons.
(Reiko AKEZUMI)
***
Fraîches étoiles –
La haute mer
rejoint le ciel.
(Yuki HIGANO)
***
Parmi les parfums
des oliviers odorants,
la nuit intense.
Enfin, vous pouvez vous référer en toute confiance aux sites et blogs tenus par des haïjins chevronnés et passionnés (liste non exhaustive) :
Association Francophone de Haïku
Et sa revue Gong
Kukai Paris tenu par Daniel PY
100% haïku, site de l’Association pour la promotion du haïku
Et sa revue Ploc !
Temps libres tenu par Serge TOMÉ
La Calebasse tenu par Vincent HOARAU
L’instant d’un haïku tenu par Minh-Triết PHẠM
VIEIL ÉTANG et sa version anglophone OLD POND tenus par Jessica TREMBLAY
L’avantage, c’est qu’au cinquième du XXIème siècle, il nous est possible, grâce aux nouvelles technologies, de nous procurer en ligne une pléthore de livres virtuels sous forme d’e-books ou de pdf (respectez le droit d’auteur, ne piratez pas, SVP !)…
J’essaierai de vous rédiger, dans un billet séparé, une liste relativement substantielle d’ouvrages (manuels et recueils) de référence.
Je vous renvoie également à mon article de présentation du haïku ainsi qu’au lexique qui le complète.
Bonne lecture ! ^^
Rahma
RÉFÉRENCES :
BASHŌ, seigneur ermite, l’intégrale des haïkus, éditions Points 2014, traduction, adaptation et édition par Makoto KEMMOKU et Dominique CHIPOT.
Anthologie Du rouge aux lèvres, Haïjins japonaises, éditions Points 2010, traduction et présentation par Makoto KEMMOKU et Dominique CHIPOT.
Fourmis sans ombre, Le livre du haïku, Maurice COYAUD, éditions Phébus Libretto 1999.
Haïkus de SÔSEKI à rire et à sourire, traduction Brigitte ALLIOUX, illustrations Minami SHINBÔ, éditions Picquier poche 2017.
Haïkus du temps présent, Madoka MAYUZUMI, présentation, choix et traduction par Corinne ATLAN, éditions Picquier poche 2014.
[i] Poisson d’eau douce